QUATRIÈME ANNÉE : 1913-1914

MISE AU POINT NÉCESSAIRE

RÉPONSE AU R. P. NAVATEL

E Père Navatel consacre, dans les Études des Pères Jésuites, un article au mouvement liturgique, sous le titre : L'Apostolat liturgique et la piété personnelle (2o no­vembre 1913, PP• 449 à 478). L'occasion lui en est four­nie par l'ouvrage de Dom Festugière : La Liturgie catho­lique, essai de Synthèse, dont nous avons parlé dans notre dernier numéro. « Après des éloges si mérités et donnés sans réserve, dit l'auteur à la fin d'un exorde trop bienveillant, il nous faut tout notre cou­rage pour présenter quelques observations » (p. 450); et sous cette appa­rence modeste et presque timide, c'est, en réalité, une critique sévère des principes fondamentaux de la piété liturgique, que le lecteur quelque peu attentif trouve développée dans de longues pages.

Rien de plus légitime sans doute que les échanges de vues sur ces ques­tions; ils seraient toutefois oiseux et sans issue, s'ils ne se produisaient avec cette précision méthodique, cette information parfaite et cette pro­bité intellectuelle que nous louions sans réserve dans l'ouvrage de Dom Festugière; bien plus, il faudrait y renoncer à jamais s'ils portaient un préjudice quelconque à la fraternité chrétienne et au bien suprême de la paix que tout ici, hommes et choses, appelle impérieusement. La rédaction des Questions liturgiques, en accomplissant ce qu'elle considère comme un devoir, entend se maintenir à tout prix dans cette sphère sereine et ne jamais faire verser aux anges de la paix des larmes amères, Angeli pacis amure fiebunt.

Le Père Navatel fait naître deux équivoques qu'il nous faut dissiper tout d'abord. A le lire attentivement, la restauration liturgique est une entreprise bénédictine ; de plus, elle est plutôt une innovation qu'une réno­vation.

xo La transcendance de la piété liturgique lui vient précisément de son caractère universel, formellement catholique : c'est la piété authentique

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et officielle de la sainte Église, le patrimoine sacré de tous ses enfants sans distinction. Les formules de prières privées et les méthodes ascétiques peuvent varier à l'infini, se rattacher à une époque ou à un Institut, porter une étiquette spéciale; l'autorité les approuve, mais ne les impose pas. L'acte liturgique, au contraire, est l'acte de l'Église, l'expression authen­tique de la religion de tous ses membres; par lui l'Église adore, loue,rend grâce et prie; une participation minimum est obligatoire pour tous.

Il n'est donc pas question d'ériger autel contre autel; il n'y a dans ce domaine ni brevet, ni spécialité, ni monopole. Aussi, la restauration litur­gique n'est-elle pas l'entreprise d'un a parti ». Le Souverain Pontife Pic X en a tracé lui-même le programme au début de son pontificat : u Notre plus vif désir étant que le véritable esprit chrétien refleurisse de toute sa force et se maintienne chez tous les fidèles, il est nécessaire de pourvoir avant tout à la sainteté et à la dignité du temple où les fidèles se réunis­sent précisément pour puiser cet esprit à sa source première et indispen­sable : la participation active aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l'Église. » Si les Bénédictins, tout préparés d'ailleurs par les traditions de leur ordre, s'emploient activement à réaliser cette volonté souveraine, c'est que Pie X a daigné faire appel à leur concours. Mais le mouvement liturgique, en Belgique sur­tout, groupe toutes les bonnes volontés; et ici nous sommes heureux de rendre hommage aux Pères belges de la Compagnie de Jésus qui, dans un grand nombre de leurs importants collèges, ont favorisé la diffusion des publications liturgiques et témoigné en toute occasion leur sym­pathie à l'oeuvre entreprise.

20 L'auteur ne craint-il pas aussi de jeter la suspicion sur le mouve­ment liturgique, dont il souhaite sincèrement le progrès, en insinuant qu'un esprit novateur l'anime ? L'esprit de nouveauté est le moindre défaut de l'Ordre monastique; on lui reproche plutôt son fétichisme de l'antiquité; c'est d'ailleurs un parti-pris, dans les réformes liturgiques actuelles, de chercher un point d'appui dans la tradition et de ramener le culte à ses origines les plus authentiques. On peut évidemment contes­ter l'opportunité de cette tendance, mais on avouera qu'elle ne s'inspire en rien de cet esprit novateur qui travaille tant d'intelligences.

Au surplus, si le reproche était mérité, il atteindrait le Saint-Siège lui-même : par toutes ses réformes liturgiques et eucharistiques, qui décon­certent nos mentalités oublieuses des origines, Pie X renoue de lointaines traditions et, avec les observances antiques, il veut nous infuser l'esprit qui les animait : ut velus consuetudo revocaretur. Novateurs, soit, mais à la suite de Pic X.

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Ces équivoques dissipées, il nous reste à rectifier sur trois points prin­cipaux, l'étude du Père Navatel :

I. DÉFINITION.

L'auteur dit très justement à ce sujet: « Il est probable que ce conflit d'opinions tient aux différents points de vue d'où chacun considère le problème. Il s'agirait donc de chercher un accord sur une définition précise et de circonscrire en des limites tracées à l'amiable ce qu'on appelle la liturgie. A ces conditions, les sentiments partagés seraient vite unanimes » (p. 452).

Une constatation si sage et si conciliatrice appelait tout naturellement un examen méthodique et attentif des définitions proposées, qui aurait révélé éventuellement des applications abusives et les correctifs néces­saires. Mais non: il n'est fait aucune allusion à ces définitions et, après quelques considérations d'un vague déconcertant, l'auteur en arrive à des confusions regrettables, et porte, sur les hommes et les choses, des jugements sévères, préjudiciables à cette unanimité de sentiments qu'il souhaitait.

Ce procédé est d'autant plus surprenant que plusieurs d'entre nous ont été amenés précédemment à préciser le concept liturgique. Sans parler de l'ouvrage de Dom Festugière, les Questions liturgiques (3e année, p. 57) consacraient, il y a un an déjà, toute une étude à cette question et char­pentaient, sur une définition aussi adéquate que possible, un essai de traité fondamental. Nos lecteurs nous permettront de citer ici le passage saillant : « Ne pourrait-on définir la liturgie : le culte de l'Église? Dans sa concision, cette définition est adéquate; elle exprime, en effet, les deux notions fondamentales, les deux éléments essentiels qui se retrouvent dans tout acte liturgique et qui suffisent à le caractériser : le mot « culte » exprime l'ensemble des actes de la vertu de religion, par lesquels l'homme reconnaît le souverain domaine de Dieu, principe et fin de toutes choses. Ces actes sont nombreux et revêtent des formes multiples : les uns sont purement intérieurs, d'autres sont en plus extériorisés; les uns sont offi­ciels et publics, les autres privés, etc. Pour préciser les actes cultuels qui appartiennent à la liturgie, un second élément doit donc s'y ajouter.

» Cet élément essentiel est contenu dans le mot « église ». Ce mot déter­mine, en effet, parmi ces actes, ceux qui ont reçu leur forme authentique et officielle de l'autorité religieuse, ceux que cette autorité reconnait comme siens et accomplit par ses fondés de pouvoir. Et comme il n'y a qu'une seule autorité religieuse légitime, celle de l'Église catholique, il n'y a qu'un seul vrai culte : le culte de cette Église.

» Dans notre définition, la notion de culte tient lieu de notion générique qui reçoit, par la notion d'Église, sa délimitation spécifique; en d'autres 86 LES QUESTIONS LITURGIQUES

termes, tous les actes de la vertu de religion ne sont pas liturgiques; il doit s'y ajouter, à cette fin, un second élément qui les spécifie : l'Église doit se les approprier, en faire son culte propre. L'ensemble de ces actes ainsi appropriés constitue le culte de l'Église, la liturgie. Nous indiquons ces deux éléments dans notre langage ordinaire par deux mots très pro­fonds : ce sont des actes cultuels d'un genre spécial.

» Pour faire un exposé méthodique complet, il suffira d'approfondir les deux notions indiquées dans la définition, à savoir : notion du culte et notion de culte de l'église ; en effet, notre définition est essentielle : elle livre tout le contenu de la chose définie : definito esseeztialis metaphysica fit per genus proxinzum et diflerentiam specificam. C'est le cas ici, nous l'avons dit. »

La question était nettement posée; c'était donc sur ce point précis que devait porter avant tout l'échange de vues, puisque, de l'aveu même de l'auteur, «il s'agirait de chercher un accord sur une définition précise et de circonscrire en des limites tracées à l'amiable ce qu'on appelle la liturgie. A ces conditions, les sentiments partagés seraient vite unanimes » (p. 452). Nous avons été complètement déçus.

A cette définition per genus et speciem, la seule rigoureusement philoso­phique, à laquelle il n'est même pas fait allusion, l'auteur semble opposer la suivante : « la liturgie est la partie sensible, cérémonielle et décorative du culte catholique s (p. 452). Définition purement descriptive et acciden­telle qui, en bonne logique, est impuissante à amorcer un exposé sérieux.

Oui, la liturgie est cela, mais elle n'est pas que cela. Cette définition en décrit l'élément extérieur, l'enveloppe matérielle, le corps; elle néglige l'élément principal, le contenu doctrinal et sanctifiant : l'âme. La liturgie ainsi comprise, quelque décorative qu'on la suppose, est un corps sans âme, un cadavre froid et muet. « Toute la liturgie, dit M. le Chanoine Callewaert, président du Grand Séminaire de Bruges, parait ne plus être qu'un ensemble de formules vides de sens, une mimique sans signification, un simple formalisme extérieur, froid, sans coeur et sans âme. Se peut-il, dès lors, qu'on estime encore un langage qu'on ne comprend plus,une voix

qu'on n'écoute plus ? » (Collationes Brugenses, t.       p 59o.)

«Autrement large et élevée, dit-il ailleurs (Questions liturgiques, ire an­née, p. 34r), est la conception que nous donnent de la liturgie les vrais liturgistes. La liturgie, pour eux, n'est pas une lettre morte; elle a un sens: le sens de la doctrine et de la piété catholiques exprimées tantôt en affir­mations nettes ou en prières de la plus grande simplicité, tantôt en figures hardies ou touchantes, parfois en gestes ou symboles d'une rare élo­quence; la liturgie a une âme : l'âme de tout le peuple chrétien qui doit s'associer à la prière publique; elle a une vie, la vie même de l'Église; elle a une histoire, une histoire qui se confond avec celle de l'Église, aux gloires et aux tristesses de laquelle elle a toujours été intimement associée;

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enfin elle a un but autre encore que l'accomplissement exact et formaliste d'une série de petites prescriptions : ce but est de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, tout en instruisant et en édi fiant prêtres et fidèles.

» Sous peine de ne donner de la liturgie qu'une idée fausse ou incom­plète, la vraie science liturgique doit chercher à mettre en lumière tous ces aspects particuliers,»

La méprise du Père Navatel est là; à notre sens elle est grave. Il dit, en effet : «L'apostolat liturgique vient à son heure. Il répond aux désirs et aux impulsions du Saint-Siège. Ce sera, en effet, l'une des grandes oeuvres du pontificat de Pie X, d'avoir orienté l'esprit des fidèles vers l'estime et la pratique de la prière liturgique (p. 450). s Or, loin de servir cette grande oeuvre pontificale, l'auteur, malgré lui, la discrédite. Personne ne s'y méprendra : derrière les liturgistes, c'est bien l'apostolat lui-même qui est atteint. Et tout est fait pour aggraver ce résultat : et le prestige de l'ordre illustre auquel le R. Père appartient; et la publicité large et autorisée de son organe; et l'information liturgique, forcément un peu courte, de ses lecteurs : car, si je ne me trompe, c'est la première initiation que leur donnent les Études restées fidèles, jusqu'ici, à la disci­pline de l'arcane.

II. LA LITURGIE ET LA PRÉDICATION.

Une fois vidée de son contenu doctrinal, la liturgie perd sa valeur d'en­seignement; dès lors « elle n'a plus qu'un rôle occasionnel et très secon­daire » dans la conversion des âmes; comparée à la prédication, son infériorité est manifeste : «on pourra crier que c'est beau, sans croire cependant que cela est vrai. Peu de personnes ont parlé de leur douceur en termes plus pénétrants qu'Ernest Renan s (p. 452). Pie X déclare pourtant la liturgie «la source première et indispensable du véritable esprit chrétien ».

Nous nous contenterons de quelques brèves considérations qui, sans épuiser le sujet, suffiront à restituer à la liturgie sa portée didactique.

Les rapports entre la liturgie et la prédication sont tellement étroits, qu'en pratique ces deux facteurs d'apostolat sont inséparables. Indiquons brièvement les points de contact, sans négliger ceux qui sont purement occasionnels.

Io. La liturgie est l'occasion de la prédication. La prédication requiert un auditoire, un local, une assemblée préparée, un cadre; la liturgie les lui fournit. Le même commandement qui rassemble, chaque dimanche, les fidèles autour de l'autel pour la liturgie eucharistique, les groupe par le fait même au pied de la chaire; et la désertion de la messe dominicale engendre infailliblement l'ignorance religieuse. L'action pastorale exer­cée par la prédication sacrée est en raison directe de l'assiduité des fidèles à participer aux offices liturgiques.

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Le jour où l'assistance à ces offices se minimise ou se déplace, au détri­ment de l'église paroissiale, le curé, quelqu'éloquent qu'il soit, perd le contact avec son peuple; la désertion de son église et de ses offices fait le vide autour de sa chaire.

En passant de l'autel à la chaire de vérité, le prêtre n'interrompt pas l'action liturgique; il y apparaît rehaussé du prestige de sacrificateur, revêtu des ornements liturgiques : c'est la messe préparatoire qui se pour­suit : l'instruction est enchâssée dans l'avant-messe et la profession de foi, chantée à l'unisson, fait écho à l'enseignement du pasteur.

Les fidèles vont à Dieu par l'adoration et la louange; et Dieu vient à eux par la grâce de la vérité; et le médiateur de ces échanges divins, c'est toujours le prêtre, qu'il soit à l'autel les mains élevées vers le ciel, ou en chaire, la parole divine sur les lèvres.

N'est-ce pas, d'ailleurs, dans les assemblées liturgiques du Sabbat juif que Notre Seigneur et les Apôtres ont trouvé les occasions les plus favo­rables de prêcher l'Évangile? On voit donc qu'à ce point de vue purement occasionnel, la prédication est tributaire de la liturgie. Mais ce n'est là évidemment, qu'un aspect accessoire.

2°. La liturgie, matière de prédication. Nos livres liturgiques con­tiennent un ensemble de rites et de cérémonies qui symbolisent des vérités religieuses; un cycle de solennités annuelles qui fait revivre au milieu de nous toute ]'oeuvre rédemptrice; un fonds merveilleusement riche de for­mules et de lectures toutes palpitantes de foi et d'amour. Illuminé de ces clartés, réchauffé par ces ardeurs, le prêtre sent les énergies de sa pater­nité spirituelle se réveiller : ses enfants doivent vivre de sa vie. Son coeur déborde, ses lèvres se délient : l'homélie liturgique n'a pas d'autre origine. Elle était dans les moeurs longtemps avant d'être dans les codes : c'est la coutume universelle de toutes les églises qui a créé l'ancienne disci­pline relative à l'homélie encore en vigueur aujourd'hui.

La littérature chrétienne primitive est suggestive à cet égard, au point qu'on pourrait reconstituer le canon liturgique de certaines églises par l'étude des homélies de leurs Pontifes. Parmi les Pères de l'Église, ceux dont l'enseignement offre le caractère le plus liturgique sont précisément deux papes, tous deux grands dans l'histoire de l'Église : saint Léon et saint Grégoire. On les voit chaque année approfondir davantage tous les mystères que les phases successives du cycle proposent à notre médita­tion.

«Bien que je sache, très aimés frères, dit saint Léon, dans son troi­sième sermon sur l'Épiphanie, que votre sainteté n'ignore point l'objet de la fête d'aujourd'hui, et que la lecture accoutumée de l'Évangile vient de vous l'expliquer, cependant pour ne pas vous priver de ce que nous vous devons en vertu de notre charge, j'oserai vous en dire ce que le Seigneur me suggérera. » MISE AU POINT NÉCESSAIRE     89

Ce n'est là qu'un exemple entre mille. Toute la patrologie depuis saint Clément jusqu'à saint Bernard confirme notre thèse : le peu que nous en lisons dans notre Bréviaire suffirait à l'établir.

Le Concile de Trente a formulé avec insistance ce point de discipline et Pie X le rappelait encore au clergé dans son Encyclique Acerbo nimis du 55 avril 1905. Ainsi s'expriment les Pères du Concile : « Etsi Elissa magnan: contincat populi fidelis eruditionem, non tamen expedire visum est Patribus ut vulgari passim lingua celebraretur. Quamobrem, retento ubique cujusque ecclesiœ antiquo, et a sancta Romana Ecclesia, omnium Ecclesiarum matre et magistra, probato rite, ne oves Christi estaient neve

parvuli panent pelant, et non sit qui frangal ; mandat sancta synodes
pastoribus et singulis curam animarum gerentibus, ut frequenter, inter missarunz celebrationem vel per se, vel par alios, ex iis quae in misse leguntur aliquid exponant, atque inter coetera sanctissimi hujus sacrificii mysterium aliquod declarent, diebus praesertim dominicis et festis.

Faisant écho aux paroles du Concile, le catéchisme « Ad parochos » rappelle aux curés que les cérémonies usitées par l'Église, notamment dans l'administration des Sacrements,ont été instituées à une triple fin : assurer aux saints mystères le respect religieux qui leur est dû, instruire les fidèles, exciter en eux la foi et la charité. Il en conclut que les prêtres doivent avoir à coeur de faire comprendre les cérémonies do culte.

Le même catéchisme dresse, à l'usage des prédicateurs, un tableau dans lequel il ramène à l'Évangile dominical les leçons du catéchisme dont l'homélie liturgique pourra s'inspirer. La liturgie sert donc de fils de chaîne sur lesquels s'entrelace la trame de l'enseignement religieux.

La même solidarité apparaît dans de nombreuses rubriques du Céré­monial des Évêques : on y lit entre autres Sermo regulariter infra missam debet esse de Evangelio currenti (Liv. I, chap. XXII, 2). Bossuet était bien l'écho de toute la tradition quand, dans sa lettre pastorale à son clergé sur la liturgie (Œuvres, éd. MIGNE, 1856, t. VIII, col. 111), il disait : « Vous leur devez faire entendre que l'année chrétienne, aussi bien que l'année ordinaire, est distribuée en ses saisons, et que les solen­nités sont répandues en divers temps, afin de nous instruire par ce moyen de ce que Dieu a daigné faire pour notre salut et de ce qu'il y a de plus nécessaire pour y parvenir.

» En effet, si les chrétiens prenaient bien seulement l'esprit des fêtes, ils n'ignoreraient rien de ce qu'ils doivent savoir, puisqu'ils trouveraient dans ces fêtes tous les bons enseignements et ensemble tous les bons exemples. » Et il ajoute plus loin, en parlant de son catéchisme litur­gique : « C'est un fondement qui servira à ceux que vous instuirez, dans tout le reste de leur vie, pour entendre utilement les sermons et assister avec fruit à l'office divin. » 90         LES QUESTIONS LITURGIQUES

Mais nous croyons en avoir dit assez de la liturgie comme matière de prédication.

La liturgie est elle-même un enseignement religieux très efficace. Elle réalise, en effet, à un degré éminent, les trois conditions indis­pensables à cette fin elle a une doctrine proposée par l'organe de la vérité religieuse; elle a une méthode très efficace d'inculquer cette vérité; et surtout, puisqu'il s'agit de la prédication sacrée, elle établit l'âme dans les dispositions surnaturelles requises pour assurer l'abondance de la grâce divine; en d'autres termes, elle revêt un triple caractère qui la rend éminemment didactique : elle est doctrinale, pédagogique et sanctifiante.

Quand l'auteur parle de ce rôle didactique, il est souvent question de « vague impression religieuse » (p. 452) que Renan éprouvait plus que tout autre, « d'état agréable, vibrant, délicieux, mais qui n'a par lui-même rien de sanctifiant» (p. 458), «d'influence confuse et habituellement peu consistante » (p. 458). La liturgie « n'a rien de comparable à la pré­dication de la parole divine pour ramener les fidèles à la religion et les élever à Dieu ». Je sais bien que tout cela est entremêlé de correctifs, mais en dépit de ces atténuations trop furtives, il en parait assez pour donner l'impression que l'ascèse liturgique est sentimentale et subjec­tive, sans base doctrinale solide; c'est l'ascèse du coeur et non de l'esprit. On voit la gravité d'une pareille insinuation par le temps qui court.

Voilà quatre ans que les Questions liturgiques, nos abonnés le savent, s'emploient à rnet tre en relief le caractère doctrinal du culte de l'Église et Dom Festugière a sur ce sujet des pages incomparables; il serait donc superflu d'insister; contentons-nous de prendre un exemple : il nous est fourni par la solennité de l'Immaculée Conception dont nous célébrons l'octave au moment où j'écris ces lignes.

Pas suffisamment doctrinale I mais la seule oraison de cette fête que tous, pape, évêques, prêtres, diacres, sous-diacres du monde entier réci­teront une cinquantaine de fois pendant ces huit jours, contient toute la mobile du dogme marial. ro c'est l'oeuvre du Père céleste : Deus qui prae-parasti habilaculum (cause efficiente); 20 elle est accomplie en vue de l'Incarnation : dignum Filii tui habitaculum (cause finale); 3° elle est le fruit des mérites de Jésus-Christ : ex morte ejusdem Fil ii lui pracvisa (cause méritoire); 40 elle consiste dans l'innocence originelle: Per Imma-culatam Conceptionem, eam ab omni lobe praescrvasti (cause formelle); 5° la grâce demandée pour tous les membres de la sainte Église : une pureté de l'âme semblable (nos quoque mundos), qui fasse de nous : d i gluon habilaeution Filii lui.

Et toute l'Église s'adresse au Père, par le Fils, dans l'unité de Saint-Esprit ; et Marie immaculée intercède pour nous.

Ce n'est là qu'une pièce bien minime du formulaire liturgique de cette fête. L'Église ramasse ici toutes ses richesses doctrinales; elle

MISE AU POINT NÉCESSAIRE

convoque tous les témoins de ce grand privilège : Moïse (leçons du teL noct.) ; David (Psaumes); Salomon (Épître); Judith (graduel); Ézéchiel (sexte); Isaïe (ant. à Magnificat); saint Luc (Évangile); saint Jean (none); saint Épiphane (3e noct., oct.); saint Germain (3e noct.) et, résumant toutes les voix de la tradition, Pic IX, dont nous relisons pendant toute cette octave la bulle Inef/abilis. Cette liturgie mariale fait penser aux grands portails gothiques dédiés à Notre-Dame: c'est bien ce peuple de prophètes, de saints et de docteurs que l'artiste chrétien a rangés dans toute la profondeur de l'embrasure, sur les claveaux des voussures et les fûts de colonnes, autour de la stidue de la madone sculp­tée au trumeau central.

Chaque année, dans trois octaves solennelles, la liturgie magnifie ainsi Notre-Dame, avec la même profusion de doctrine et de témoignages. Et que dire du cycle christologique dont l'Avent vient d'ouvrir la première phase !

Pas suffisamment doctrinale! mais ne croit-on pas au contraire qu'il y aurait grand profit en vue d'une éducation religieuse plus doctrinale et plus solide, à former dans ce sens la jeunesse de nos collèges ? Ils vivraient leur foi annuellement renouvelée par l'intelligence et l'amour du cycle.

Évidemment, le dogme n'est pas proposé dans les textes liturgiques sous forme de canons ou de thèses; l'Église dispose à cette fin de son mucus osagisleri avec ses multiples modalités; mais la liturgie s'assi­mile le dogme, l'assouplit à sa nature, le tamise dans ses formules, ses rites et ses symboles. Elle est notre foi confessée, sentie, priée, chantée. mise en contact avec la foi de nos frères, de toute l'Église; c'est sa méthode. L'Église a conscience qu'elle possède la vérité; pour la faire entrer en nous, elle ébranle toutes nos capacités réceptives et utilise tous les arts, en respectant, nous l'avons vu, la hiérarchie de nos facultés et en assurant la primauté de l'intelligence par son caractère hautement doctrinal.

Doctrine, méthode ne suffisent pas pour faire pénétrer en nous la vérité divine, il faut la grâce; or, la liturgie, parce que acte du culte accompli par l'Église comme telle, est de sa nature sanctifiante. La vérité devient adoration et prière, elle est toute chargée de grâces.

Sans doute, l'auteur se trouve dans des conditions peu favorables pour expérimenter cette haute valeur de la liturgie catholique. Si je ne me trompe, dans son ordre, l'office divin et la liturgie eucharistique ne pren­nent jamais quelqu'ampleur : n'en est-il pas réduit, comme donnée expé­rimentale, aux saluts solennels, ou peut-être à des souvenirs de jeunesse? Dans ces conditions il lui est malaisé d'en parler si longuement, d'autant plus que, d'après lui a dans les questions d'ascétisme, les théories ne signifient pas grand chose : l'expérience est tout s (p. 469). 92  LES QUESTIONS LITURGIQUES

D'autre part si les moines pouvaient paraître unilatéraux et atteints d'une tare professionnelle, des affirmations catégoriques d'hommes d'oeu-vres tels que Godefroid Kurth auraient dû lui inspirer plus de confiance. Selon moi, l'une des plus grandes causes de l'ignorance religieuse, sinon la plus grande, c'est l'ignorance liturgique... Rendre aux fidèles l'intelli­gence, et par suite l'amour des mystères qui se célèbrent à l'autel, re­mettre dans leurs mains le Missel qu'ont remplacé tant de livres de dévo­tion vulgaires et médiocres ; c'est là la vraie manière d'enseigner la reli­gion, d'attacher au temple ceux qui le visitent encore et d'y ramener plus tard ceux qui l'ont déserté. » (La Croix, 5 août 1911.)

Cette même thèse a d'ailleurs été longuement exposée à différentes Semaines liturgiques, notamment par l'abbé Grégoire, professeur au Grand Séminaire de Tournai. (Semaine liturgique de Maredsous, 1912, PP• 143 à 168,) et l'abbé Malherbe, curé de Ronquières (Semaine de Louvain, 1913). Une étude sérieuse appelait nécessairement l'examen de leurs conclusions.

L'opposition imaginée par l'auteur entre la liturgie et la prédication est donc sans fondement : nous l'avons suffisamment démontré. Plus on unira ces deux facteurs d'éducation religieuse, plus la vie chrétienne sera intense.

III. LITURGIE ET MÉDITATION.

Dans toute cette partie de son étude, le R. Père suppose admis comme postulat ascétique, une affirmation qui n'est, au fond, qu'un préjugé (l'école vraiment trop naïf. Voici ce sophisme fondamental, je ne fais qu'y ajouter une formule précise :

L'oraison mentale est synonyme de méditation systématique et rai­sonnée dite ignatienne; or, vous critiquez la méthode ignatienne, donc vous êtes les adversaires de l'oraison mentale. Et cette audace est d'au­tant plus grave que vous méconnaissez notre monopole; « aujourd'hui encore, c'est par elle (méthode ignatienne) que, dans presque tous les diocèses du monde catholique, s'entretient, se raffermit et s'avive la piété du clergé, des ordres religieux et des vrais amis de la perfection. Tant de prérogatives n'ont pu trouver grâce devant, écrirons-nous, les rénova­teurs, ou les innovateurs » (p. 461).

Tout cela a un côté très rassurant : c'est donc le seul grief sérieux articulé par le premier censeur public d'un mouvement qui, depuis plusieurs années, «bouillonne d'idées neuves et conquérantes' (p. 458) et veut « par la liturgie, renouveler la spiritualité des âmes dévotes, le clergé, les religieux, les pieux séculiers » (p. 458).

D'autre part, si l'on parvenait à créer cette équivoque et à présenter la vie ascétique liturgique comme ennemie de l'oraison mentale, la défiance de l'autorité religieuse seraitjustement éveillée. Déjà le R. Père

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esquisse timidement dans ce sens un geste significatif : rc les griefs qu'on articule contre l'oraison méthodique importent bien davantage, car ils touchent, croyons-nous, à la sanctification des 'âmes et risqueraient de mettre en péril, si l'on n'y répondait, la solide piété et la perfection évangélique » (p. 460).

Il n'est pas aisé de débrouiller toutes les confusions qu'un point de départ aussi inexact rendait inévitables; contentons-nouspcur lemoment d'un exposé positif et précis de notre façon de voir. Encore une observa­tion pourtant : la documentation du Père Navatel est vraiment trop sommaire; il juge les liturgistes Bénédictins des monastères de Belgique sur une brochure d'un Père Franciscain français dont il semble ne pas avoir lu attentivement la préface; il disposait pourtant de documents authentiques, traitant ex professo la question et signée par les liturgistes qu'il incrimine (Bréviaire et méditation, Semaine liturgique de Mared-sous, p. 570 à 587; Dom Festugière : La Liturgie Catholique, Essai de synthèse, p. 77... ; — Idéal monastique, p. 128 à 544;Questions liturgiques, de Louvain 2e an., p. 535 ; Retraite lit. Louvain, Ut unum sint, 1913, 120 pages). Or l'auteur impute aux liturgistes une série de propositions formellement contraires à ces exposés; nous avouons ne pas comprendre ce procédé de discussion.

Ceci dit, venons-en à un exposé positif plus général.

Remarques préliminaires.— r.On distingue habituellement deux espèces d'oraison : l'oraison vocale et l'oraison mentale. La première comprenant les actes extérieurs du culte; la seconde, l'exercice appelé aussi médita­tion, quel le que soit d'ailleurs la méthode d'après laquelle on l'accomplit , affective, raisonnée, etc. Cette distinction, justement consacrée par le langage reçu, est légitime, à condition qu'on ne la transforme pas en opposition irréductible entre ces deux éléments: l'oraison vocale n'exclut pas l'oraison mentale; au contraire, elle est formellement une oraison mentale sous peine de n'être qu'une formalité inanimée. Les actes liturgiques peuvent donc être et sont une méthode d'oraison mentale dont le caractère spécifique consiste précisément à faire intervenir les actes extérieurs ut causa, eflectus et signum de l'oraison intérieure. Une oraison vocale bien laite comprend donc les deux éléments.

Dès lors, en rappelant la valeur d'oraison mentale des actes liturgiques, les liturgistes apportent un précieux aliment à la vie intérieure du clergé; au contraire, la méthode spirituelle qui laisse supposer que ces actes ne constituent pas une oraison mentale, appauvrit d'autant la vie intérieure du clergé, et, par surcroît, diminue le respect et l'amour des actes litur­giques, dont l'ensemble constitue pourtant l'activité spécifiquement sacerdotale. Le danger est-il bien celui que l'on signale

On ne saurait trop insister. Pour être extériorisée, l'activité surna­turelle de l'âme ne perd pas sa valeur d'oraison. Bien plus, elle devient 94     LES QUESTIONS LITURGIQUES

supérieure à l'oraison purement mentale, quand cette extériorisation a pour effet (et c'est le cas pour tous les actes liturgiques) de faire vivre plus parfaitement chaque âme isolée, de l'ascèse de l'Épouse du Christ elle-même. L'erreur de beaucoup dans l'étude comparative de l'oraison vocale et de l'oraison mentale, c'est de n'envisager que les convenances psychologiques de l'âme humaine, sans considérer les exigences positives de la constitution divine de l'Église visible.

Une équivoque semblable fut créée jadis par les protestants : et il y a plus ici qu'une simple comparaison. L'Eglise est essentiellement visible; les protestants en concluaient à la méconnaissance par les catholiques, de l'élément invisible, et opposaient à cette société visible, toute forma­liste d'après eux, la vraie Église du Christ, société invisible établie par un lien tout mental et tout spirituel. A la faveur de cette équivoque spécieuse, ils jetaient le discrédit sur l'Eglise romaine, réduite, d'après eux, au rôle d'un mécanisme administratif que la vie divine avait déserté. On sait comment le grand théologien Jésuite Bellarmin réfuta ces erreurs dans son traité célèbre De Ecclesia.

Une confusion semblable a lieu dans notre cas : parce que la liturgie comprend essentiellement l'élément extérieur et qu'on l'appelle donc de ce chef oraison vocale, on la représente comme vidée de l'élément invi­sible et spirituel; on l'oppose à l'oraison mentale. La définition du R. Père citée plus haut est de nature à créer cette équivoque.

2. Une seconde observation générale de grande importance doit trou­ver place ici, si l'on veut réhabiliter efficacement la piété liturgique. Nous en empruntons l'exposé très précis à Dom Festugière (p.72) :

,‘ On remarquera que ceux qui contestent l'aptitude de la liturgie à procurer à l'âme des expériences religieuses vivifiantes, se tiennent eux-mêmes en dehors des conditions requises pour le succès de telles expé­riences. En effet, ils partagent communément leurs exercices de piété quotidiens en deux classes : ceux dont on vit (la méditation, l'oraison) et ceux dont on s'acquitte ou qu'on accomplit, comme on dit, a pour l'acquit » de la conscience » (le bréviaire). On voit des hommes d'église, extrême­ment respectables, se garder de soustraire un seul instant à leur temps régulier de méditation — ils font bien — et se réjouir d'avoir « gagné » deux ou trois minutes sur le temps de la récitation de leurs heures cano­niales. Or, il faut savoir qu'il existe un moyen infaillible d'annuler la valeur de l'office comme carrière d'expérience religieuse : c'est de faire de la récitation de cet office un exercice de volubilité. Qu'on aille voir comment en agissaient les saints, par exemple le bienheureux curé d'Ans I

» Aussi bien une distinction de nature mi-juridique, nzi-ascétique, introduite ici, nous sera extrêmement utile pour éclairer le débat. La théologie morale a fixé des règles qui, tout en formulant le minimum des

MISE AU POINT NÉCESSAIRE                       95

conditions que doit remplir un clerc dans la récitation de l'office, lui donne néanmoins, au sujet de l'accomplissement de son devoir rituel, toute sécurité de conscience. Mais persuadons-nous — combien impor­tant ce point, en matière d'expérience religieuse ! — que l'office récité bien (= sans coulpe) canoniquement, peut être pourtant récité mal (= sans vrai avantage spirituel) liturgiquement. On a satisfait ( lacere satis) ; on n'a pas profilé. La loi est contente. La piété reste dans l'ina­nition.

» Et comme il y a des hommes très pieux qui ne tirent pas aliment de cette liturgie à laquelle le précepte ecclésiastique les astreint, ils cherchent leur nourriture d'âme exclusivement ailleurs. Cette attitude peut même faire partie d'un véritable système de spiritualité adopté en toute déli­bération et bonne foi. Le divorce est prononcé sans appel entre la prière « sociale » et la prière «individuelle ». La vie spirituelle est coupée en deux par une cloison étanche. Évidemment un pareil dualisme place l'expérience religieuse des personnes qui s'y résignent dans des conditions fort différentes de celles qu'eût composées à cette expérience un état de spiritualité homogène. »

Ces remarques fondamentales une fois faites, il nous sera facile d'es­quisser les deux méthodes de spiritualité.

Méthode liturgique. Elle comprend trois éléments que nous allons indiquer sous les lettres a, b, c :

a) Les actes liturgiques proprement dits: Liturgie eucharistique, (missel) Office divin, (Bréviaire), Cycle liturgique. L'application parfaite de toutes les acuités de notre âme à l'accomplissement de ces actes liturgi­ques, constitue, d'après cette méthode, la première oraison mentale. Vivre chaque jour pleinement l'oeuvre de la Rédemption, à la gloire du Père céleste, dans la forme concrète et authentique que la sainte Église lui a donnée par sa liturgie eucharistique; nous identifier avec notre Mère l'Église romaine et accomplir par elle et pour elle nos adorations et nos prières; sanctifier et offrir à Dieu les actes de chaque jour et de chaque heure, en les enveloppant dans la liturgie quotidienne de la messe et du Bréviaire; bref, vivre avec notre Mère et dès lors avec Jésus-Christ et avec Dieu, cette vie intérieure que l'Église a organisée pour ses enfants et dont les rites, les formules et le cycle de la liturgie sont le véhicule authentique, voilà l'activité fondamentale de la piété liturgique. « Vide ut quod ore cantas corde credas, et quod corde credis, operibus probes. » (Sacramentaire gélasien.) Ce texte que l'Église antique adressait à ses ministres, montre bien tout le processus de la piété liturgique; on accomplit l'acte du culte avec toute sa foi et tout son amour pour réaliser ensuite dans les oeuvres les résolutions qu'il nous suggère.

Très significatives à cet égard sont les paroles de Pie X dans sa bulle Divino alllatu : le Restaurateur de la piété traditionnelle y montre com­g6 LES QUESTIONS LITURGIQUES

ment les Psaumes fournissent l'élément d'une oraison mentale très élevée « En outre, dit-il, il y a dans les psaumes une force étonnante pour sti­muler les Cimes à l'amour de toutes les vertus. Et vraiment quel est l'homme qui ne se sente ému à ces passages si nombreux des psaumes où tour à tour on célèbre en termes sublimes la Majesté immense de Dieu, sa toute-puissance et sa justice, sa bonté, sa démence ineffables et ses autres attributs infinis? Qui n'éprouve ces sentiments encore à ces can­tiques d'action de grâce pour les bienfaits reçus de Dieu, à ces humbles et confiantes prières qui implorent des bienfaits nouveaux, et enfin à ces cris de l'âme se repentant de ses péchés ? Qui n'est transporté d'admiration à entendre le psalmiste tantôt redire les grands dons reçus de la munifi­cence divine soit par le peuple d'Israël, soit par le genre humain tout entier; tantôt nous exposer les vérités de la céleste sagesse ? Et, enfin, qui ne se sent le coeur embrasé d'amour devant l'image si fidèlement tracée du Christ, dont saint Augustin (in Ps. 42, n. r), entendait la voix dans tous les psaumes, voix tantôt chantant des louanges, tantôt éclatant en gémissements, tantôt disant les joies espérées et les dou­leurs présentement endurées. »

Ces différents actes de l'âme sous l'action des psaumes récités ou chantés ne constituent-ils pas une oraison mentale?

Le Souverain Pontife fait appel au témoignage des Pères de l'Église, saint Athanase, saint Augustin, saint Basile, etc., qui attestent cette valeur ascétique des Psaumes : e C'est encore saint Athanase qui parle ainsi très à propos Il me semble que les psaumes doivent être comme un miroir pour celui qui les chante ; il faut que, dans les psaumes, il se consi­dère lui-même et les sentiments de sa propre âme, et qu'il les chante dans ces dispositions-là. » Aussi bien, saint Augustin écrit dans ses Confes­sions : s Combien, j'ai pleuré, sous la forte émotion de tes hymnes et de tes cantiques, mélodieuse voix de ton Église ! Ces sons coulaient dans mon oreille, et par eux, se répandait dans mon coeur la vérité, et ils y faisaient naître des sentiments d'ardente piété, et les larmes coulaient de mes yeux, et ces larmes m'étaient une joie (lib.IX, cap. vr). »

Comment peut-on contester que le chant des psaumes accompli avec intelligence, foi et amour, soit une oraison mentale très élevée où l'âme, sous le souffle de l'auteur inspiré, s'élève vers Dieu et s'unit intimement à lui? La seule assistance de saint Augustin à cet office liturgique avait-elle, oui ou non, tous les caractères d'une oraison mentale parfaite ?

L) Les actes de piété privés. A côté des actes liturgiques proprement dits se place, pour toute âme désireuse de vivre en Dieu, cette activité purement intérieure appelée oraison mentale, sorte de recueille­ment silencieux et libre en Dieu. La méthode de piété liturgique s'étend, en second lieu, â cette activité. Son principe dans ce domaine est de rattacher nos exercices privés aux actes du culte et de pénétrer

MISE AU POINT NÉCESSAIRE                       97

ainsi notre activité spirituelle de l'esprit liturgique. La propagande liturgique sous toutes ses formes s'emploie sans exclusivisme étroit, unilatéral et indiscret, mais avec une conviction et un élan invincibles, à la faire triompher dans le clergé et les fidèles. Cette thèse a été exposée bien des fois déjà, et le Père Reylandt, dans son rapport «Bréviaire et méditation s, que nous avons déjà signalé, en démontre longuement les avantages. Les Questions liturgiques (se année, p. 355) s'expriment ainsi sur ce même sujet : « Il ne s'agit pas évidemment de réduire toute notre dévotion aux seuls actes que nous accom­plissons comme ministres du culte, à savoir : la sainte messe, l'Office divin, etc., et de supprimer de notre ordre du jour tout autre acte de dévotion. Ce serait agir contre la tradition catholique la plus vénérable, que toutes les anciennes règles monastiques ont consacrée, et contredire les récentes instructions de Pie X au clergé du monde entier. L'Église ménage chaque jour, à ses enfants et surtout à ses prêtres, le repas sub­stantiel des saintes lectures, des adorations collectives et des supplica­tions toutes-puissantes. Appliquer son activité surnaturelle à s'assimiler les richesses, à les faire passer dans sa vie et son action, n'est-ce pas un magnifique objectif de piété sacerdotale, d'une piété solide, facile, col­lective, ecclésiastique, vraiment catholique? s

Jadis, la part beaucoup plus large prise par le clergé et les fidèles aux actes liturgiques, comme aussi la vie moins agitée de cette époque, ren­daient naturellement beaucoup plus spontanés et plus faciles ces actes d'oraison privée. Une réglementation précise pour le temps et la durée de ceux-ci n'était donc pas nécessaire. La participation aux actes litur­giques étant maintenant plus réduite (récitation privée et messes basses) et la vie active plus absorbante, il est indispensable de réglementer le temps et la durée de ces exercices privés, sous peine d'en compromettre l'accomplissement fidèle. Dès lors, l'ordre du jour de tout prêtre doit fixer un temps pour l'oraison privée et pour les saintes lectures; mais ce changement, et voilà l'équivoque qu'on veut créer, n'inclut pas néces­sairement une modification dans la méthode et la matière de l'oraison; tout en étant fixée pour le temps et la durée, elle peut rester ce qu'elle était jadis pour la matière et la méthode, à savoir : oraison contempla­tive et affective faisant écho à toute la liturgie de la messe, du Bréviaire et du cycle liturgique.

Nous avons dit «n'inclut pas nécessairement o; en effet, si l'on préfère une méthode raisonnée et systématique pour faire oraison, l'on fera bien de l'adopter et de s'y tenir si on la trouve plus utile pour son avancement spirituel; mais prétendre que l'oraison à heure et durée fixes exige nécessairement la méthode raisonnée dite ignatienne, voilà l'exclusivisme contre lequel nous protestons.

Telle est donc dans la méthode liturgique, l'orientation discrète de g8 LES QUESTIONS LITURGIQUES

cette seconde série d'actes. « Nous ne prétendons pas que ce soit la seule méthode, mais on conviendra en tous cas qu'elle est excellente, qu'elle ne porte ni étiquette spéciale, ni brevet d'inventeur, qu'elle n'est pas bénédictine mais catholique, qu'elle a été trop négligée et qu'il n'est pas inutile de la remettre en honneur. » (Questions liturgiques, 2, année, p.536.)

Du reste, aux âmes novices et à la foule des chrétiens qu'on convie à la méditation liturgique, on n'interdit nullement d'autres livres que le missel et le bréviaire. Il y a beau temps que D. Guéranger a écrit son Année liturgique et que des milliers et des milliers de chrétiens y trouvent le thème d'excellentes oraisons. Des livres animés du même esprit existent. Le P. Navatel ne fait donc pas preuve d'une grande initia­tive d'esprit quand il propose qu'on élabore des « méditations litur­giques ». Veut-il dire qu'il faut construire des méditations ignatiennes (avec préludes, constitution du lieu, etc.) sur des matières de liturgie? Nous serons heureux d'en voir éditer. Mais, les âmes n'attendront pas l'apparition de cette littérature pour s'alimenter à la liturgie.

c) Enfin, la méthode de piété liturgique maintient au troisième plan les nouvelles dévotions privées et est jalouse de conserver les grandes dévotions antiques. Cette attitude lui est inspirée par l'exemple même de l'Église qui se montre, dans ce domaine, traditionnelle, discrète, et d'une réserve extrême; et les récents décrets de Pie X sur les réformes liturgiques sont bien faits pour encourager cette tendance. On ne con­damne pas le mois de saint Joseph ni même la neuvaine de la grâce, mais l'idée du Carême doit dominer dans les âmes chrétiennes pendant ce temps. On célèbre le mois de mai, sans pourtant perdre de vue les grands mys­tères du Temps pascal avec ses deux octaves privilégiées de l'Ascension et de la Pentecôte, et sans oublier de célébrer les trois grandes octaves de Notre-Dame, Assomption, Nativité et Immaculée Conception. Bref, la méthode liturgique maintient dans ses dévotions l'ordre hiérarchique établi par l'Église.

Sans doute ces questions doivent âtre traitées avec ménagement et discrétion : aussi les Questions liturgiques sont-elles réservées au clergé: Ce n'est pas le cas pour l'article du P. Navatel.

z» Unc méthode aliturgique de piété. — Sous peine d'encourir le reproche d'incompétence, je me vois forcé de suivre le conseil très sage du R. Kre auquel malheureusement il n'est pas resté fidèle : « Dans les questions ascétiques, les théories ne signifient pas grand'chose, l'expérience est tout » (p. 469). Le lecteur m'excusera donc de faire part d'une expérience personnelle et d'esquisser ici, aussi impersonnellement que possible, la méthode liturgique que j'ai vécue pendant douze ans, depuis ma cléri­cature jusqu'à mon entrée au monastère. Je n'entends nullement géné­raliser mon cas, encore moins décrire la piété cléricale actuelle; je n'ai

MISE AU POINT NÉCESSAIRE                       99

qu'une garantie à offrir, une seule : la réalité de mon expérience indivi­duelle; peut-être étais-je un sujet anormal ? du moins, je n'en ai pas eu conscience. Au surplus, il importe peu : nous ne classons pas les phéno­mènes en vue d'une déduction théorique; c'est simplement un point de comparaison réel que nous cherchons.

Pour plus de facilité, nous suivrons l'ordre adopté dans l'exposé de la première méthode : actes liturgiques, exercices de piété privés, dévotions. a) Les actes liturgiques. — La Messe. Je vais exposer d'abord ce que la messe doit être pour le prêtre et le chrétien ; je dirai ensuite ce qu'elle était pour moi. L'Église est dépositaire et dispensatrice de la vérité; elle est aussi dépositaire et dispensatrice des sacrements et surtout de l'Eucharistie; c'est à elle qu'il appartient de mettre en valeur, d'exploiter à notre profit, de gérer sous sa responsabilité ce grand trésor, un peu comme le travail humain doit mettre en valeur les richesses naturelles brutes enfouies dans e sol. C'est la destination de toute la liturgie eucharistique et, pour tout dire en un mot, du missel : il est le commentaire vivant et authentique de ce grand mystère, le lan­gage que parle le Christ dans son silence eucharistique. Sans la liturgie la réalité eucharistique, pour les petits et les humbles surtout, est loin­taine, abstraite, impersonnelle, quelquefois monotone, j'allais diref asti-dieuse. Par elle, le Christ sort de l'immobilité et du silence de son état sacramentel : il retrouve toute la réalité de sa vie évangélique. » Qui vous écoute m'écoute » : j'écoute donc l'Église me parlant par son misse], et dans la voix de l'Épouse, c'est l'Époux que j'entends c'est lui qui prie; qui me parle à l'Évangile; je revis dans toutes les messes du cycle toute sa vie et ses enseignements. Chaque jour, c'est un nouveau Jésus que le missel me présente, un nouveau mystère, une nouvelle parole, une nouvelle Eucharistie. Comme les disciples, je rencontre le Maître à la margelle du puits, sur la montagne, au carrefour d'un chemin, sur le bord du lac, à Nazareth, bref, dans tous les états de sa vie terrestre. La messe ainsi comprise devient un rendez-vous intime, un entretien vivant et toujours nouveau, ce qu'elle fut pour les disciples d'Emmaüs : » N'est-il pas vrai que notre coeur était tout brûlant au-dedans de nous lorsqu'il nous parlait en chemin et qu'il nous expliquait les Écritures? » (Luc, XXIV, 32.)

On me pardonnera d'être franc : mais le missel a été pour moi un livre fermé et scellé. Et cette ignorance s'étendait non seulement à la partie variable dont je viens de parler et qui donne chaque jour à l'Eucharistie

une vie nouvelle, mais même à ce fonds immuable et principalemnet au

Canon, fixé depuis tant de siècles et tout chargé de la piété eucharistique des premiers âges. Aussi les grandes notions d'Acte parfait de latrie, but

principal de la messe, de participation au sacrifice par la manducation de la Victime, de l'union des frères dans la communion au Corps du Sei­roo          LES QUESTIONS LITURGIQUES

gneur, de l'offrande spirituelle de nos bonnes oeuvres à faire à l'autel; bref, de toutes les grandes réalités que la liturgie eucharistique met con­stamment en oeuvre, ne dominaient pas ma piété eucharistique. Le culte de la Sainte Réserve appelé visite au Saint Sacrement avait un rôle plus vital dans ma piété que l'acte même du Sacrifice.

Ce qui est vrai du missel l'est aussi du bréviaire et du cycle liturgique. Je n'ai pas souvenance d'avoir récité mon bréviaire avec intelligence et amour ; les psaumes, les lectures, les oraisons étaient sans écho dans mon âme. Les saisons liturgiques n'exerçaient aucune action sur ma dévotion; bref, les actes liturgiques proprement dits étaient pour moi une formalité cultuelle qui n'avait aucune influence appréciable dans l'économie de ma piété. Aussi bien dans les retraites faites annuellement n'était-il pas question de cela : seuls, la méditation, l'examen, la recollection; toute une ascèse en marge de la liturgie et séparée par une cloison étanche, importaient.

b)     Les actes de piété prives Lcs questions de régularité et de ferveur mises à part, je conserve deux souvenirs des méditations et des lec­tures spirituelles de cette époque : r0 jamais je ne les ai faites dans les livres liturgiques; ma bibliothèque ne renfermait d'ailleurs ni misse], ni rituel, ni pontifical, ni cérémonial des évêques, ni marty­rologe, ni commentaires de ceux-ci; tous ces livres dans lesquels circule la vie intérieure traditionnelle de l'Église étaient pour moi des gri­moires. Jamais je n'ai médité le psautier, le Pontifical de l'ordina­tion, etc... Quatre conférences, historiques pourtant, de Mgr Battifol sur ce dernier sujet, m'ont mieux fait comprendre la dignité sacerdotale que bien des pieux sermons de retraite.

e Aucune distribution méthodique et suivie dans les vérités mé­ditées; le plan tout subjectif adopté par l'auteur du manuel réglait seul la suite des méditations quotidiennes. Un caprice, un succès de librairie d'un auteur en vogue, une circonstance toute fortuite, entraînait un changement de manuel et me soumettait dès lors à un régime tout nou­veau; l'esprit de suite faisait infailliblement défaut. Et tandis que je folâtrais ainsi par tous les sentiers, j'ignorais complètement l'itinéraire annuel de rénovation spirituelle tracé par l'Église avec une sollicitude infinie, dans son cycle liturgique.

c)     Les dévotions. Je ne discernais guère entre les pratiques nou­velles et les vieux sacramentaux, les bénédictions de la Sainte Église, les dévotions antiques en harmonie avec les saisons liturgiques. Le Carême institué par l'Église comme temps de retraite et de pénitence, les Quatre-Temps, les Vigiles préparatoires aux grandes fêtes, la place du jeûne dans l'ascèse chrétienne, les joies du Temps pascal, la célé­bration des grands octaves du cycle, tout cela ne faisait pas partie de ma vie.

MISE AU POINT NÉCESSAIRE                       roi

Je crois avoir décrit fidèlement dans ces lignes la physionomie de ma piété au point de vue liturgique.

Les deux méthodes que nous venons de décrire sont comme les deux points extrêmes d'une lignée graduée où viennent se ranger les multiples modalités de la piété.

On peut les caractériser par deux formules outrancières susceptibles de nuances infinies :

r) Maximum d'activité surnaturelle en harmonie avec la vie et l'esprit liturgique et minimum d'activité étrangère à cet esprit.

2) Minimum d'activité surnaturelle en harmonie avec la vie et l'esprit liturgique et maximum d'activité étrangère à cet esprit.

La supériorité de la méthode qui s'inspire de la première tendance semble incontestable.

ro Elle nous fait vivre en communion avec le ciel et la terre, la spiri­tualité organisée par la sainte Église et tend à identifier nos adorations, nos louanges, nos prières, bref toute notre vie d'oraison avec la vie inté­rieure de l'Épouse du Christ.

2. Elle développe chez les chrétiens ce qu'on pourrait appeler le sens social du catholicisme. Ce sens social comprend trois éléments : Nécessité, a) d'une vie religieuse collective (contrairement à l'individualisme de Sabatier); b) communiquée et entretenue du dehors par l'action surna­turelle d'une autorité légitime (contrairement à l'immanence des mo­dernistes); et c) rendue visible par tout un ensemble d'actes extérieurs : foi professée, signes conférés, communion extérieure, etc. (contrairement à l'Église invisible des protestants). Or, la liturgie catholique porte dans toutes ses manifestations l'empreinte de ce triple caractère : elle est col­lective, car tous par elle vivent collectivement d'une seule spiritualité, celle de l'Église; elle est hiérarchique, car elle nous vient avec toute sa doctrine, ses rites et son esprit de l'Église romaine; elle est visible, car tout en elle s'incarne dans des signes et des formules. La méthode de piété qui nous fait vivre la liturgie développe dès lors en nous le sens social du catholicisme et nous infuse l'antidote le plus puissant contre les erreurs modernes.

30 Cette piété ne perd rien pour cela de son caractère personnel; l'âme reste consciente de sa responsabilité individuelle et de ses devoirs; une activité individuelle constante est requise pour lui faire oublier son égoïsme et profiter de toutes les richesses doctrinales contenues dans la liturgie. Elle ne mène donc nullement à cette religiosité collective ano­nyme où l'individu se repose sur l'activité du corps social et s'immobilise dans une vague quiétisme. Il est vrai qu'elle intensifie fortement chez ses adeptes la foi vivante dans le dogme de la Communion des Saints; mais Durkheim seul, avec ses idées sociologiques préconçues, pourrait y voir une application de son système philosophique.

102             LES QUESTIONS LITURGIQUES

4° Elle réveille dans les âmes, par la participation collective et active aux saints mystères, le respect et l'amour de la hiérarchie diocésaine et paroissiale et la fraternité chrétienne.

50 Loin d'être ennemie des dévotions privées, elle apporte à celles-ci un accroissement de vigueur et de virilité. La piété liturgique, étrangère à toutes les mièvreries et toutes les fadaises, nourrie de saine doctrine, pure et de bon aloi, large et généreuse, devenue l'aliment principal de l'âme chrétienne,transformera la piété privée,lui donnera un nouvel élan une nouvelle intensité en même temps qu'elle le maintiendra à sa vraie place.

60 Elle met en pleine valeur un régime de spiritualité dont l'accom­plissement, au moins matériel, nous est imposé d'autre part chaque jour et chaque heure; elle est donc souverainement pratique et raisonnable.

7° Elle est éminemment sacerdotale, car elle assure dans notre vie la primatie réelle aux actes liturgiques qui sont, dans le sens propre du mot, les actes de notre saint ministère : Oportet sacerdotem of/erre, benedieere, pracesse...

80 Nous faisant vivre pleinement de cette vie liturgique, elle nous rendra capable d'en faire ,'ivre les fidèles quia doivent trouver le véritable esprit chrétien à sa source première et indispensable, à savoir : la parti­cipation aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l'Église. »

90 Elle nous rend très agréables à Notre-Seigneur en intensifiant en nous cet esprit d'unité, souhait suprême du Maître que les premiers chré­tiens trouvèrent dans cette même communauté devie spirituelle: «Erant perseverantes in doctrina Apostolorum et communicatione fractionis panis et orationibus. » (Actes, II, 42).

200 Elle est l'ennemie de cette religion purement intérieure qui craint trop souvent de s'affirmer en public; de cette piété « dans la plus stricte intimité » dont on loue quelquefois la réserve et la discrétion et qui cache trop souvent le respect humain et le manque de convic­tion. « L'apostolat liturgique oppose le plus efficace des antidotes au venin de laïcité qui s'infiltre insensiblement au cœur de nos meilleures populations» (p 450).

rra Elle peut et doit, par sa destination même, devenir populaire et générale. Elle n'est pas réservée à une aristocratie ascétique qui a ses procédés et ses méthodes exclusifs, en dehors de la portée des chrétiens ordinaires. Tous, indistinctement, depuis le Pape jusqu'à l'enfant du catéchisme, vivent la même liturgie à des degrés divers, participent aux mêmes fêtes, sont entraînés dans le même cycle. On voit quelle puissance d'entraînement cette unification des esprits et des coeurs crée dans la sainte Église.

12° Enfin, elle nous fait vivre dans la capitale du monde chrétien; MISE AU POINT NÉCESSAIRE  103

par la liturgie « romaine », nous sommes citoyens de la grande Cité. Dom Cabrol, dans une série de conférences faites à la Semaine liturgique de Maredsous, sur les stations de Rome, les grandes Basiliques et le cycle liturgique des fêtes romaines, montrait le profit que nous pouvons tirer de la liturgie pour développer ce sentiment si catholique. Après avoir évoqué le souvenir de tous les grands monuments de la Rome chrétienne-il ajoutait : « C'est là notre histoire, c'est l'histoire de nos origines chré­tiennes, c'en est l'épopée de pierre; tous ces monuments parlent à notre coeur et à notre foi; Rome est devenue pour nous notre seconde capitale.. Je voudrais vous montrer le lien de ces monuments archéologiques avec la liturgie; la liturgie romaine est concrétisée là; elle a été une liturgie locale avant de devenir la liturgie du monde latin. Je voudrais vous montrer que vous, Messieurs et chers confrères, avec votre missel et votre bréviaire, vous Messieurs, qui êtes des laïques avec votre paroissien, vous avez en main tous les éléments de cette histoire et je voudrais con­stater avec vous l'intérêt que cette étude donne à ces livres et, du même coup, à la liturgie. » Grâce à la liturgie comprise et quotidiennement vécue, Rome doit occuper dans l'amour et le culte des catholiques, la place qu'occupait Jérusalem dans l'amour et le culte des fils d'Israël : « Stantes orant pedes nostri in atriis tufs Jerusalem » Ce pèlerinage ad litnina nous l'accomplissons fréquemment par la liturgie romaine com­prise et vécue : les stations dans les grandes basiliques dont s'inspirent tant de textes liturgiques, le culte de tous les martyrs des persécutions; l'origine des rites et des formules, tout nous rattache à l'Église mère et maîtresse.

Arrêtons-nous et pour cette fois ne dépassons pas la douzaine.

Tout cela d'ailleurs a été dit et redit : ce sont presque des clichés pour nos lecteurs. Mais il était nécessaire d'y revenir.

Adoptant une vieille tactique, le Père Navatel semblait louer l'oeuvre et ne censurer que les ouvriers. Nous l'avons vu, c'est bien l'ouvre qui est visée. Puant aux ouvriers, ils attendent toujours, non la sentence, mais les considérants précis et les chefs d'accusation. Voilà quatre ans que les Questions liturgiques paraissent et les rédacteurs ont parlé claire­ment. Avant de les suspecter et de leur dresser une généalogie presque hérétique, il fallait produire des pièces, des citations, des références : on les cherche en vain.

Les amis de la liturgie n'ont pas lieu pourtant de s'inquiéter outre mesure de ces attaques. Les « partis jeunes » escomptent trop souvent l'appoint de conversions retentissantes et d'aveux sans réserve : la psychologie des conversions est généralement plus compliquée. Malgré l'impression fâcheuse que laisse en de-nier lieu cet article, et l'influence regrettable que sa lecture peut avoir dans les milieux non prévénus ou peu avertis, nous croyons découvrir à travers les critiques sévères, assez to.4            LES QUESTIONS LITURGIQUES

de clairvoyance, si pas de sympathie, pour espérer que le R. Père, dans son apostolat futur, fera plus large la part de la liturgie. Tout en prêchant très fidèlement dans ses retraites les quatre semaines de la méthode spi­rituelle de son ordre, il consacrera une heure à la méthode spirituelle de la sainte Église.

Ce faisant, il sera, comme les liturgistes, non un innovateur mais un rénovateur ; en effet, le grand prédicateur de son ordre, le P. Bourdaloue consacre dans sa Retraite un sermon à l'Office divin. (Œuvres complètes éd. Gauthier, Besançon 1823, t. XVIe, p. 116.) L'illustre contemporain de Fénelon et de Mme Guyon a pu, sans être suspecté de quiétisme, pronon­cer des paroles que je livre en finissant aux réflexions du R. Père a Sainte obligation qui m'engage à faire sur la terre ce que les Bienheureux font au ciel... Sainte obligation qui me fait entrer dans l'esprit de l'Église; car l'office divin est spécialement la prière de l'Église, et quand je le récite, je prie au nom de toute l'Église. C'est l'Église qui me fait prier et qui m'apprend à prier; et il est vrai que cette seule prière, si je la faisais comme il faut, me suffirait pour me rendre parfait selon Dieu et pour m'entretenir habituellement dans sa présence n (ibid. p. If 6).

Dom LAMBERT BAUDUIN.

 


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